LâarrivĂ©e de Dele Alli a Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ©e jeudi par les fans de Besiktas Dele Alli Ă©tait autrefois lâun des espoirs les plus brillants dâAngleterre, mais aprĂšs une forte baisse, il sâest dirigĂ© vers la Turquie dans lâespoir de revigorer sa carriĂšre. Un dĂ©mĂ©nagement de Tottenham Ă Everton la saison derniĂšre Ă©tait censĂ© fournir le nouveau dĂ©part dont il avait besoin, mais il quitte les Toffees sans avoir rĂ©ussi Ă marquer un but ou Ă fournir une passe dĂ©cisive en 13 apparitions pour lâĂ©quipe de Frank Lampard. Ă seulement 26 ans, Alli a tout le temps de redĂ©couvrir la premiĂšre forme de sa carriĂšre qui a fait de lui un habituĂ© de Tottenham et des Trois Lions et il passera le reste de cette campagne en prĂȘt Ă Besiktas. Mais quâest-ce qui nâallait pas pour Alli ? Et ce dĂ©mĂ©nagement en Turquie est-il sa derniĂšre chance de retrouver les sommets dont il jouissait autrefois ? Le partant anglais sur le banc dâEverton alors que les buts se tarissent Tout dĂ©pend dâAlli » Il semble que le feu Ă lâintĂ©rieur ait Ă©tĂ© Ă©teint » Le partant anglais sur le banc dâEverton alors que les buts se tarissent Il y a Ă peine cinq ans, Alli Ă©tait lâun des joueurs les plus importants de lâĂ©quipe de Tottenham, marquant 18 buts en Premier League alors que les Spurs terminaient deuxiĂšme derriĂšre Chelsea. Mais, aprĂšs avoir aidĂ© lâAngleterre aux demi-finales de la Coupe du monde 2018, les apparitions dâAlli pour le club et le pays ont progressivement diminuĂ©, plusieurs managers ayant essayĂ© mais nâayant pas rĂ©ussi Ă obtenir un air de lui. La saison 2017-18 a Ă©tĂ© la derniĂšre fois quâAlli a atteint deux chiffres, lorsquâil a atteint 10 buts. Au cours des quatre derniĂšres saisons combinĂ©es, il nâa marquĂ© que 14 fois. Pendant ce temps, il a remportĂ© la derniĂšre de ses 37 sĂ©lections en Angleterre il y a trois ans. Le record de Dele Alli en Premier League Saison applications DĂ©parts Minutes Buts Aides Implication dans les minutes/objectifs 2015/2016 33 28 2479 dix 9 130 2016/2017 37 35 3043 18 sept 122 2017/2018 36 34 2970 9 dix 156 2018/2019 25 22 1833 5 3 229 2019/2020 25 21 1851 8 4 154 2020/2021 15 sept 618 0 1 618 2021/2022 21 9 988 1 0 988 2022/2023 2 0 38 0 0 â Je regarde Dele Alli et vous ne pouvez pas lâĂ©pingler sur Mauricio Pochettino, Jose Mourinho, Nuno Gomes ou Frank Lampard », a dĂ©clarĂ© lâancien milieu de terrain dâEverton Don Hutchinson sur BBC Radio 5 en direct. Ă un moment donnĂ©, il faut se regarder dans le miroir. Il a 26 ans et il y a une chance quâil revienne mais je le regarde et il a lâair dâĂȘtre tombĂ© amoureux du football. Ce scintillement vient de disparaĂźtre. » Tout dĂ©pend dâAlli » Ă son arrivĂ©e en Turquie jeudi, Alli a Ă©tĂ© accueilli comme un hĂ©ros par des fans en adoration et si ce genre de rĂ©ception ne parvient pas Ă rallumer ce feu, il est difficile de voir ce qui va se passer. Jouer Ă lâĂ©tranger donne Ă Alli la chance de retrouver sa forme en grande partie Ă lâabri des projecteurs des mĂ©dias britanniques, et lâabsence de cette pression pourrait Ă©galement aider. Mais si aucun de ceux-ci ne parvient Ă relancer Alli, lâancien milieu de terrain de Tottenham, Jamie Redknapp, pense que la dure rĂ©alitĂ© de sa situation pourrait avoir lâimpact requis. Quelles autres options a-t-il ? a dĂ©clarĂ© Redknapp sur Talksport. Je ne peux pas imaginer trop dâautres clubs de Premier League frapper Ă la porte et essayer de lâavoir. Câest une autre chance pour lui de faire avancer sa carriĂšre. Câest Ă Dele de dĂ©cider. Il ne peut pas continuer Ă regarder tout le monde. Ce nâest pas la dĂ©cision idĂ©ale, mais câest celle oĂč, espĂ©rons-le, il pourra relancer sa carriĂšre et repartir. » Il semble que le feu Ă lâintĂ©rieur ait Ă©tĂ© Ă©teint » Dele Alli a marquĂ© pour aider lâAngleterre Ă battre la SuĂšde lors de la Coupe du monde 2018 Le rĂ©dacteur en chef du football de BBC Sport, Phil McNulty Le dĂ©clin dramatique dâAlli du golden boy du football anglais au talent perdu est encore plus net alors quâil quitte Everton pour un prĂȘt Ă Besiktas aprĂšs seulement sept mois Ă Goodison Park. Alli avait le monde Ă ses pieds quand il est venu Ă Tottenham aprĂšs avoir rejoint MK Dons et avait lâair dâune superstar en attente quand il a marquĂ© deux fois et a donnĂ© une performance spectaculaire alors que le Real Madrid Ă©tait battu 3-1 en Ligue des champions Ă Wembley en novembre 2017. . Il a fait partie de lâĂ©quipe dâAngleterre qui a atteint la demi-finale de la Coupe du monde en Russie en 2018, mais lâinfluence et la capacitĂ© dâAlli ont chutĂ© de maniĂšre assez inexplicable depuis. Il semble que le feu qui lui a donnĂ© un avantage concurrentiel fĂ©roce pour augmenter ses dons naturels a Ă©tĂ© Ă©teint, avec mĂȘme le plaidoyer de lâentraĂźneur des Spurs de lâĂ©poque, Jose Mourinho, selon lequel Alli regretterait dâavoir gĂąchĂ© une carriĂšre potentiellement stellaire en ne la rallumant pas. Les Spurs Ă©taient heureux de dĂ©charger un joueur que beaucoup pensaient autrefois quâil pourrait Ă©ventuellement valoir 100 millions dâeuros Ă Everton en janvier dans le cadre dâun accord Ă©chelonnĂ© et les Merseysiders Ă©taient dĂ©sespĂ©rĂ©s de lâexpĂ©dier Ă Beskitas avant quâune clause dans son dĂ©mĂ©nagement ne signifie un paiement de 10 millions dâeuros aprĂšs 20 apparitions, nâayant jouĂ© que 13 fois. La dĂ©rive dâAlli est lâune des plus mystĂ©rieuses de toutes les Ă©nigmes du football, ayant remportĂ© le titre de jeune joueur de lâannĂ©e PFA deux fois de suite en 2015-16 et 2016-17. Il a ressemblĂ© Ă un joueur qui a perdu sa soif de jeu, une accusation quâil niera certainement, mais la preuve est lĂ quâAlli est devenu lâombre du joueur de classe mondiale quâil aurait pu devenir. Alli a toujours tellement de bonne volontĂ© parmi ceux qui veulent voir ce talent spĂ©cial sâĂ©panouir, mais les espoirs que cela se concrĂ©tise sâamenuisent et Besiktas reprĂ©sente sans doute sa derniĂšre chance de relancer une carriĂšre qui sâest Ă©garĂ©e.Ilest bon d'apprendre quelquefois aux heureux de ce monde, ne fĂ»t-ce que pour humilier un instant leur sot orgueil, qu'il est des bonheurs supĂ©rieurs au leur, plus vastes et plus raffinĂ©s. Les fondateurs de colonies, les pasteurs de peuples, les prĂȘtres missionnaires exilĂ©s au bout du monde, connaissent sans doute quelque chose de ces mystĂ©rieuses ivresses; et, au sein de la
Foot - Mercato Ă Barcelone et Paris, câest la fin du rĂȘve pour Bernardo Silva PubliĂ© le 25 aoĂ»t 2022 Ă 13h35 par Thomas Bourseau mis Ă jour le 25 aoĂ»t 2022 Ă 13h37 Il est lâune des opĂ©rations chaudes de cette fin de mercato. AnnoncĂ© au PSG, oĂč Luis Campos rĂȘve de lâaccueillir, et au FC Barcelone, Ă©tant une signature rĂȘvĂ©e de Xavi Hernandez, Bernardo Silva ne partira pas selon le directeur exĂ©cutif de Manchester City. Lâoccasion pour Pep Guardiola et pour Xavi de faire le point sur la suite de ce feuilleton. Avant la clĂŽture du mercato estival, Luis Campos aimerait que son rĂȘve devienne rĂ©alitĂ©. Comme vous lâa rĂ©vĂ©lĂ© en exclusivitĂ© le 18 aoĂ»t dernier, une offre de transfert de 80M⏠a Ă©tĂ© transmise Ă la direction de Manchester City par les dĂ©cideurs du PSG. En vain. En effet, le champion dâAngleterre a repoussĂ© ladite offre et ne semble pas prĂȘt Ă revenir sue sa position. Manchester City campe sur ses positions pour Bernardo Silva Ces derniĂšres heures, aprĂšs avoir affirmĂ© Ă la Cadena SER quâil Ă©tait trop tard Ă ce stade du mercato pour enregistrer des arrivĂ©es et boucler des dĂ©parts, Ferran Soriano a tenu un discours similaire Ă Tv3 dans le cadre de la rencontre caritative entre le FC Barcelone et Manchester City au Camp Nou mercredi soir 3-3. Il n'y a pas de discussions ou de pourparlers pour Bernardo Silva. Il n'y a pas de cas Bernardo. Le mercato de Manchester City est clos, c'est terminĂ© ». Admiratif de Silva, Xavi ne se mouille pas et attend un signe de City Dans la journĂ©e de mercredi, The Ahletic a assurĂ© que Xavi Hernandez verrait dâun trĂšs bon oeil le recrutement de Bernardo Silva au FC Barcelone. Le milieu offensif serait mĂȘme la signature rĂȘvĂ©e de lâentraĂźneur du Barça. Cependant, Xavi ne serait pas dupe quant Ă la faisabilitĂ© de ladite opĂ©ration. Qui n'aime pas Bernardo Silva? C'est un joueur trĂšs important pour Pep et pour City. Je l'aime, il fait la diffĂ©rence car il a une grande capacitĂ© Ă comprendre le jeu. Il y a peu de joueurs comme lui. Mais je pense qu'il n'y a pas de nouvelles. Cela dĂ©pend de City ». Voici le tĂ©moignage livrĂ© par Xavi Hernandez dans le cadre de la rencontre face Ă Manchester City et dans des propos relayĂ©s par Esport3. Mercato - PSG Luis Campos connaĂźt la rĂ©ponse pour le transfert de Bernardo Silva â le10sport le10sport August 24, 2022Guardiola peut-il enfin souffler pour Silva ? Ces derniers temps, Pep Guardiola a rĂ©guliĂšrement Ă©tĂ© invitĂ© Ă sâexprimer sur lâavenir de Bernardo Silva, Ă la fois annoncĂ© du cĂŽtĂ© du PSG et du FC Barcelone. Cependant, sa position sur la question de son dĂ©part nâa jamais Ă©voluĂ©e comme en atteste sa dĂ©claration de mercredi soir. Bernardo Silva est un grand joueur et nous le voulons avec nous. Je ne veux pas avoir de joueurs mĂ©contents dans l'Ă©quipe, mais la vĂ©ritĂ© est que je ne suis au courant d'aucune offre. Pour lui, partir serait un gros problĂšme pour nous. Nous voulons rester Ă City. C'est aussi vrai, cependant, que Bernardo aime beaucoup Barcelone ».
Territoire Au sens large, le territoire est une portion d' espace appropriĂ©e. C'est l'un des mots les plus polysĂ©miques de la gĂ©ographie, d'autant qu'il est couramment utilisĂ© dans le langage commun comme synonyme d'espace. Maryvonne Le Berre distingue trois Ă©lĂ©ments de dĂ©finition qui remonte aux premiers usages du mot territoire Ă lAvecun salaire net de 25 millions dâeuros accompagnĂ© dâune prime de fidĂ©litĂ© de 15 millions dâeuros, le coĂ©quipier de Presnel Kimpembe et de Marco Verratti est assurĂ© deExposĂ© prĂ©sentĂ© au colloque Georges Canguilhem. Science, technique, politique perspectives actuelles » LiĂšge, 22 avril 2016 par Pierre Macherey Depuis que les toutes premiĂšres publications de Georges Canguilhem ont Ă©tĂ© tirĂ©es de lâoubli dans lequel il les avait lui-mĂȘme relĂ©guĂ©es et ont Ă©tĂ© remises en circulation dans le tome I de lâĂ©dition de ses Ćuvres ComplĂštes, on ne peut plus ignorer que le point de dĂ©part de son parcours a Ă©tĂ© une philosophie du jugement et des valeurs, tournĂ©e vers lâaffirmation dâun devoir-ĂȘtre, avec, Ă la source et Ă lâinitiative de cette affirmation, une position philosophique de sujet qui en assume pleinement la responsabilitĂ© en philosophie, comme Ă lâĂ©gard du monde du vivant et de la sociĂ©tĂ©, Canguilhem a fait dâemblĂ©e le choix du normatif ». Ă lâexamen, il apparaĂźt que lâensemble de lâĆuvre thĂ©orique qui a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e Ă partir de ce point de dĂ©part et sur sa lancĂ©e est restĂ©e continĂ»ment fidĂšle Ă cette exigence » ce nâest pas un hasard si ce mot, exigence », qui traduit la puissance normative propre Ă un sujet assumant la pleine responsabilitĂ© de ses jugements, revient souvent sous la plume de Canguilhem. Cette rigoureuse obstination ne lâa cependant pas empĂȘchĂ© de pratiquer un esprit crĂ©atif dâinvention et dâouverture, en se confrontant aux manifestations plurielles de la vie ainsi quâaux diverses rĂ©alisations historiques de la culture humaine sous les formes, principalement, de la technique, de la cognition et de lâorganisation sociale, qui ne sont elles-mĂȘmes rien de plus, au degrĂ© de complication qui dĂ©finit chacune, que des rĂ©alisations de la dynamique vitale Ă cĂŽtĂ© dâautres. Jusquâau bout, Canguilhem est restĂ© un philosophe du devoir-ĂȘtre ; mais sa conception du devoir-ĂȘtre sâest considĂ©rablement enrichie, et sâest chargĂ©e dâimplications qui, en la prĂ©cisant, en ont peu Ă peu inflĂ©chi lâorientation premiĂšre1. En 1980, sâapprochant du terme dâun parcours intellectuel entamĂ© cinquante ans plus tĂŽt, Canguilhem dĂ©clare Ă la fin de sa confĂ©rence sur Le cerveau et la pensĂ©e Le Je nâest pas avec le monde en relation de survol, mais en relation de surveillance. »2 Est par lĂ mise en balance la conception dâun sujet transcendant, soustrait au monde et sâassurant face Ă lui une position exceptionnelle de domination et dâautoritĂ©, avec celle dâun sujet immanent Ă la rĂ©alitĂ© et au processus complexe de ses relations internes qui, sans sâen extraire, remplit vis-Ă -vis de ce processus une fonction critique dâexamen, lâinterroge sur les valeurs que spontanĂ©ment il met en Ćuvre, en discute les orientations dâune maniĂšre qui nâest pas seulement thĂ©orique mais pratique le premier est une entitĂ© mĂ©taphysique, et le second un ĂȘtre vivant, un sujet biologique. Il y a donc deux maniĂšres bien diffĂ©rentes dâen appeler Ă un devoir-ĂȘtre lâune sâinscrit dans une perspective idĂ©ale dâabsoluitĂ©, propre Ă un sujet substantiel qui se situe Ă la verticale du monde quâil considĂšre de haut et de loin dans un esprit de lĂ©gitimation dont il se rĂ©serve lâentiĂšre initiative ; lâautre, au contraire, maintient une appartenance au monde dâoĂč se dĂ©gage, Ă lâhorizontale, et comme portĂ©e de biais de maniĂšre rasante, une leçon de relativitĂ© assumĂ©e par un sujet non plus substantiel mais modal, parce quâil se tient Ă la mesure de ce monde dont il est un Ă©lĂ©ment parmi dâautres, en nĂ©gociation, et Ă©ventuellement en conflit, donc en permanence en train de se mesurer avec eux, ce qui prĂ©cisĂ©ment dĂ©finit sa condition de mode » qui nâest pas substance ». La question que soulĂšve la juste comprĂ©hension de la pensĂ©e de Canguilhem et de lâĂ©volution quâelle a suivie sur un demi-siĂšcle est celle de savoir comment elle sâest situĂ©e et a profilĂ© ses allures propres, ses exigences, face Ă cette alternative du dedans et du dehors, de lâimmanence et de la transcendance, du relatif et de lâabsolu, du subjectif et de lâobjectif, dans laquelle il ne serait pas absurde de voir une manifestation de la polaritĂ© de la vie. LâhypothĂšse sous-jacente Ă lâĂ©tude qui va suivre est que la prise en compte des implications objectives et subjectives de lâidĂ©e de milieu fournit un Ă©clairage privilĂ©giĂ©, sinon exclusif, sur la maniĂšre personnelle dont, en tant que sujet philosophique de pensĂ©e, Canguilhem a gĂ©rĂ© en pratique cette alternative du substantiel et du modal qui, de toutes façons, ses enjeux nâĂ©tant pas seulement thĂ©oriques et cognitifs, ne pouvait ĂȘtre tranchĂ©e dĂ©ductivement par les moyens du raisonnement pur, indĂ©pendamment des apports divers, contrastĂ©s, et pour une large part imprĂ©visibles de lâexpĂ©rience et des matiĂšres Ă©trangĂšres » que celle-ci met en oeuvre. Pour rĂ©sumer briĂšvement les enjeux de cette hypothĂšse, elle revient Ă avancer que, pour Canguilhem, le milieu nâa pas seulement Ă©tĂ© un objet de spĂ©culation, vis-Ă -vis duquel pĂ»t ĂȘtre adoptĂ©e, Ă distance, une attitude de survol mais il lui a fourni le contexte, câest-Ă -dire en un sens le milieu, avec les Ă©quivoques et les contrastes propres Ă cette chose entre toutes bizarre et incertaine quâest un milieu », depuis lequel, en y remplissant aussi rigoureusement que possible une fonction de surveillance, il a poursuivi son effort en vue dâassumer, en responsabilitĂ©, et dans un esprit dâexigence, la tĂąche de sujet philosophique et normatif de pensĂ©e quâil sâĂ©tait assignĂ©e. Ă la lumiĂšre de cette hypothĂšse, il apparaĂźt que la philosophie de Canguilhem pourrait bien ĂȘtre une philosophie du milieu, avec les deux valeurs objective et subjective du gĂ©nitif câest-Ă -dire une philosophie nourrie par une rĂ©flexion sur lâidĂ©e de milieu ou Ă son propos, mais aussi une philosophie situĂ©e en plein milieu de la rĂ©alitĂ© polaire dĂ©signĂ©e par cette idĂ©e dont elle Ă©pouse pas Ă pas les fluctuations sans prĂ©juger de leur issue. Pour dĂ©velopper et mettre Ă lâĂ©preuve cette hypothĂšse, il faut reprendre le problĂšme Ă son point de dĂ©part. Que signifie aux yeux de Canguilhem prendre parti philosophiquement en faveur dâun devoir-ĂȘtre ? Ce nâest pas apprĂ©hender celui-ci comme un terrain tout prĂ©parĂ© et structurĂ© dans lequel il nây aurait quâĂ sâengager sans lâinterroger au prĂ©alable sur ses conditions de possibilitĂ©. Or ces conditions sont et ne peuvent ĂȘtre que polĂ©miques et antagoniques. Choisir la voie du devoir-ĂȘtre pour sâorienter dans la pensĂ©e, câest rĂ©cuser lâautre voie possible, qui est celle de lâĂȘtre et de ses intangibles nĂ©cessitĂ©s contre lesquelles butent les exigences axiologiques, ce qui contraint ces exigences Ă se dĂ©mettre en faveur de ces nĂ©cessitĂ©s. Tout au long de son parcours intellectuel, Canguilhem a Ă©tĂ© aux prises avec un adversaire qui est, peut-on dire, lâontologisme celui-ci se manifeste aussi bien Ă travers lâillusion de normalitĂ©, qui ramĂšne le normal Ă une catĂ©gorie de lâĂȘtre, quâĂ travers la reprĂ©sentation de la technique comme science appliquĂ©e, qui mĂ©connaĂźt son caractĂšre vital dâexpĂ©rience pratique associant travail, main mise et prise de risque sur fond dâaventure3, ou encore Ă travers lâobjectivisme causal qui, grĂące Ă une procĂ©dure dâabstraction, ramĂšne la rĂ©alitĂ© Ă un ensemble de dĂ©terminations donnĂ©es de toute Ă©ternitĂ©, dont il ne reste Ă la connaissance scientifique quâĂ formuler, soi-disant telles quelles, les lois. Lâontologisme, dont les manifestations sur le plan de la cognition sont le positivisme et le scientisme, et plus gĂ©nĂ©ralement ce quâon peut appeler le reprĂ©sentativisme, consiste dans la remise Ă plat, la neutralisation et la rĂ©ification des donnĂ©es du monde et des expĂ©riences de la vie, maintenues sous une garantie uniforme dâobjectivitĂ© modulĂ©e, comme lâexplique Hegel dans le premier tome de sa Science de la logique qui est consacrĂ© prĂ©cisĂ©ment Ă une logique de lâĂȘtre », sous les catĂ©gories de la qualitĂ©, de la quantitĂ© et de la mesure, catĂ©gories qui, Ă des niveaux diffĂ©rents de complication, exploitent le mĂȘme fond commun, lâĂȘtre tel quâil est ou est censĂ© ĂȘtre, dont elles mettent en Ă©vidence et renforcent lâunitĂ© dans une telle perspective, penser câest, sous les formes les plus diverses, penser un, donc uniformiser, homogĂ©nĂ©iser, cohĂ©rer, faire converger, rassembler, et en derniĂšre instance confondre, sous la caution dâun ontologisme primaire qui rĂ©duit les diffĂ©rences en les plaçant sous une Ă©chelle commune dâapprĂ©ciation. Selon Hegel, câest lâĂ©troitesse spĂ©cifique Ă cette maniĂšre de penser qui contraint Ă la dĂ©passer, en renonçant Ă penser un, au premier degrĂ©, pour se mettre Ă penser deux, forme rĂ©flexive propre Ă ce quâil appelle une logique de lâessence, qui introduit dans lâĂȘtre la puissance divisante du nĂ©gatif, et prĂ©pare ainsi le passage dâune logique objective Ă une logique subjective, ou logique du concept ; cette derniĂšre consiste Ă penser trois, par le biais de la transfiguration de la nĂ©gation simple, encore Ă lâĆuvre dans la logique de lâessence, en nĂ©gation absolue ou nĂ©gation de la nĂ©gation qui, par une opĂ©ration dâAufhebung dont le modĂšle est fourni par le calcul et par la grammaire, assure, aprĂšs une longue suite de dĂ©tours, le retour du positif, et referme sur lui-mĂȘme le cercle de la spĂ©culation logique. La critique de lâontologisme, qui, alimentĂ©e par la confrontation Ă des matiĂšres Ă©trangĂšres » fournies en derniĂšre instance par les diverses manifestations de la vie naturelle et sociale, donne son impulsion Ă la rĂ©flexion philosophique de Canguilhem, dĂ©bouche elle aussi sur une conception qui fait fond sur le principe de la nĂ©gativitĂ© et quâil nâhĂ©site pas Ă appeler Ă lâoccasion dialectique », quoiquâelle diverge sur le fond par rapport Ă la conception hĂ©gĂ©lienne qui relĂšve en derniĂšre instance dâune philosophie de lâEsprit dont le fil conducteur est le finalisme, voie royale assurant le retour du mĂȘme une fois toutes les diffĂ©rences surmontĂ©es or, ce quâon vient de dĂ©signer Ă lâessai en se servant de la formule philosophie du milieu », â on pourrait aussi parler dâune philosophie au milieu » â, se situe prĂ©cisĂ©ment en alternative Ă une philosophie de lâEsprit, tentative ou tentation rĂ©conciliatrice, dont Canguilhem nâa cessĂ© de se dĂ©marquer4, ce qui, si on y rĂ©flĂ©chit bien, est une façon de reconnaĂźtre implicitement, sinon son bien-fondĂ©, du moins la puissance dâattraction qui, tel un phĂ©nix, fait interminablement renaĂźtre de ses cendres cette forme idĂ©alisante de spĂ©culation que constitue le spiritualisme, contre laquelle on nâa jamais fini de mener combat. La dialectique » dont il lui arrive de se rĂ©clamer Ă titre personnel, nourrie par la lecture de lâEssai pour introduire en philosophie le concept de grandeurs nĂ©gatives de Kant, par celle des oeuvres de Renouvier et de Hamelin, par celle des philosophes nĂ©o-kantiens des valeurs de lâĂ©cole de Heidelberg, et pour finir par celle des travaux que Bachelard a consacrĂ©s aux jeux contrastĂ©s de la connaissance scientifique et de lâimagination, consiste pour lâessentiel en une philosophie du non » qui fait jouer Ă plein, sous un horizon dâinachĂšvement, le principe de la nĂ©gativitĂ© en Ă©cartant la possibilitĂ© de sa conversion magique en nĂ©gation de la nĂ©gation destinĂ©e Ă assurer, sous la figure dâun ontologisme de part en part spiritualisĂ©, et refinalisĂ©, le retour triomphal de la positivitĂ©. Les rĂ©fĂ©rences philosophiques, dâinspiration expressĂ©ment anti-hĂ©gĂ©liennes, qui viennent dâĂȘtre Ă©voquĂ©es, renvoient Ă un remaniement de la perspective dialectique, qui assigne au nĂ©gatif une position dâaltĂ©ritĂ© ne devant pas ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de maniĂšre dĂ©fective mais affirmative. Comme lâĂ©crit Kant en vue de repenser le rapport entre action et rĂ©action dĂ©veloppĂ© par la physique newtonienne Les grandeurs nĂ©gatives ne sont pas des nĂ©gations de grandeurs âŠ] mais au contraire quelque chose de vraiment positif en soi, qui est simplement opposĂ© Ă lâautre grandeur positive. »5 Il sâagit donc dâopposĂ©s rĂ©els, dont seule la relation est marquĂ©e par la nĂ©gativitĂ©, Ă©tant Ă©cartĂ©e la possibilitĂ© quâaucun des termes de cette relation puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© comme nĂ©gatif ou positif en soi autrement dit, ceux-ci, tout en sâopposant, coexistent et dâune certaine maniĂšre se complĂštent6, sâappellent rĂ©ciproquement, sans toutefois se concilier ni fusionner. Ce qui est rĂ©el », ce qui constitue la trame de la rĂ©alitĂ© en tant que milieu, milieu de vie ou milieu de pensĂ©e, ce nâest pas lâun Ă lâexclusion de lâautre, câest-Ă -dire en fin de compte lâun sans lâautre, mais leur relation antagonique, leur contrariĂ©tĂ© » dirait Hamelin7, donc leur polaritĂ©, qui, si elle est amenĂ©e Ă revĂȘtir des formes indĂ©finiment variĂ©es, ne peut ĂȘtre rĂ©solue, câest-Ă -dire supprimĂ©e, dans lâabsolu. Dans cet esprit, Rickert soutient Pour progresser jusquâau tout, la philosophie doit Ă©tudier partout lâun et lâautre, donc procĂ©der de maniĂšre hĂ©tĂ©rologique. Sa mĂ©thode est apparentĂ©e Ă la mĂ©thode dialectique » au sens de Hegel et doit malgrĂ© tout en ĂȘtre nettement sĂ©parĂ©e. La nĂ©gation de la thĂšse, ou lâantithĂšse, ne suffit pas. Il sâagit, avec lâhĂ©tĂ©rologie dâune ad-jonction Er-GĂ€nzerung positive de la thĂšse. »8 Lorsque Canguilhem Ă©crit, en 1943, dans son Essai sur quelques problĂšmes concernant le normal et le pathologique Le pathologique doit ĂȘtre compris comme une espĂšce du normal, lâanormal nâĂ©tant pas ce qui nâest pas normal, mais ce qui est un autre normal »9, il adopte prĂ©cisĂ©ment le point de vue hĂ©tĂ©rologique dĂ©fendu par Rickert. Ce point de vue est Ă la base de son concept de valeurs nĂ©gatives » qui, paradoxalement, en introduisant la nĂ©gation au cĆur des valeurs, conduit dialectiquement Ă affirmer, au sens fort du terme, la nĂ©cessitĂ© de leur conflit, qui constitue leur horizon indĂ©passable vivre, travailler, connaĂźtre, câest, sous des formes variĂ©e, se trouver en plein milieu ou au coeur de ce conflit des valeurs, donc y participer en adoptant Ă son Ă©gard une attitude dâextrĂȘme vigilance. Dans la partie complĂ©mentaire du Normal et le Pathologique rĂ©digĂ©e vingt ans aprĂšs » lâEssai, cette position est Ă nouveau affirmĂ©e, Ă©tant cette fois accompagnĂ©e de la rĂ©fĂ©rence Ă Bachelard, que Canguilhem situe dans le mĂȘme courant dialectique » qui met en avant le concept dâopposition au dĂ©triment de celui de contradiction Une norme tire son sens, sa fonction et sa valeur du fait de lâexistence en dehors dâelle de ce qui ne rĂ©pond pas Ă lâexigence quâelle sert. Le normal nâest pas un concept statique ou pacifique, mais un concept dynamique et polĂ©mique. G. Bachelard, qui sâest beaucoup intĂ©ressĂ© aux valeurs sous leur forme cosmique ou populaire, et Ă la valorisation selon les axes de lâimagination, a bien aperçu que toute valeur doit ĂȘtre gagnĂ©e contre une antivaleur. »10 Lorsquâil a pris connaissance des travaux de Goldstein, Canguilhem a Ă©tĂ© confirmĂ© dans cette orientation de pensĂ©e qui, comme Marx sây Ă©tait dĂ©jĂ essayĂ© en empruntant dâautres voies, conduit Ă expurger la dialectique de ses prĂ©supposĂ©s hĂ©gĂ©liens, prĂ©supposĂ©s qui, par une sorte de miracle spĂ©culatif, associent nĂ©cessitarisme et finalitĂ©. Ceci posĂ©, lâappel aux valeurs propre Ă une philosophie du devoir-ĂȘtre revĂȘt sa pleine dimension. Si les valeurs contestent les faits, ce nâest pas quâelles aient la prĂ©tention de se substituer Ă eux elles ne sont pas des faits de niveau supĂ©rieur, comme le professe le platonisme de premier degrĂ© qui soutient la doctrine cousinienne Du vrai, du Beau, du Bien », une maniĂšre de voir Ă laquelle il est impensable que Canguilhem ait pu, par un biais ou un autre, se rallier. Les valeurs, qui sont en conflit entre elles davantage quâelles ne sont en conflit avec les faits, ne sont pas des possibles idĂ©aux, des formes rationnelles en attente de leur rĂ©alisation sur laquelle elles anticiperaient, et dont lâĂ©vocation obĂ©it fatalement au mouvement rĂ©trograde du vrai. De ce point de vue, Canguilhem se place dans le sillage de la critique de la mĂ©taphysique effectuĂ©e par Kant dans la Dialectique transcendantale » de la Critique de la raison pure les valeurs qui orientent des jugements ne correspondent Ă rien de rĂ©el en soi qui puisse faire lâobjet dâune connaissance avĂ©rĂ©e ; elles se contentent de remplir Ă lâĂ©gard de ce qui arrive une fonction rĂ©gulatrice, du type de celle exercĂ©e par les idĂ©es de la raison, qui consiste en lâindication, sur le mode du comme si », de possibilitĂ©s, rien de plus. Si les valeurs interviennent dans les rĂ©seaux complexes de la rĂ©alitĂ©, câest donc en tant que possibles rĂ©els » qui, Ă mĂȘme son dĂ©roulement, rĂ©vĂšlent la nĂ©gativitĂ© immanente Ă ses relations et en impulsent dynamiquement les transformations ; elles ne sont pas un autre rĂ©el mais ce qui, au sein mĂȘme du rĂ©el, lâincite Ă devenir autre, Ă emprunter des allures nouvelles rĂ©pondant aux exigences quâelles formulent. De tels possibles sont Ă tous Ă©gards utopiques », au sens oĂč lâutopie nâest pas lâĂ©vocation, au futur, dâun autre monde destinĂ© Ă prendre la place de celui qui existe actuellement, mais reprĂ©sente, Ă lâintĂ©rieur de ce monde-ci, au prĂ©sent, le travail du nĂ©gatif qui le taraude et le hante dans ses profondeurs, en rĂ©vĂ©lant que, tel quâil est, ça ne va pas, etwas fehlt » pour reprendre une terminologie utilisĂ©e par Derrida, la vĂ©ritable alternative aux Ă©vidences et aux nĂ©cessitĂ©s de lâontologie, câest une hantologie »11. LâhistoricitĂ© telle que Canguilhem la conçoit, suivant la leçon de Renouvier, câest avant tout le sens du possible qui impulse un devenir les valeurs qui confortent ce sens ne planent pas au-dessus du monde tel quâil est, en se tenant en position de survol, elles ne prophĂ©tisent pas ; mais, en en suivant pas Ă pas les tours et les dĂ©tours, en se glissant dans ses plis, elles en reprĂ©sentent la contestation interne. La fonction de surveillance quâil leur revient en propre dâexercer rĂ©vĂšle que les faits » sous les apparences desquels la rĂ©alitĂ© se manifeste ne sont pas, comme on se le figure naĂŻvement, des tout faits », sous une forme achevĂ©e, statique, Ă prendre ou Ă laisser comme telle. Câest pourquoi les vraies valeurs, celles qui sont en mesure dâenclencher une dynamique normative, sont toutes sans exception des valeurs nĂ©gatives ; elles reprĂ©sentent lâintrusion du nĂ©gatif dans lâĂ©tat de fait quâelles remettent en question, et ouvrent ainsi, dans un climat dâincertitude et dâinsĂ©curitĂ©12, la perspective dâun devenir ce sont elles qui polarisent en incitant, lĂ oĂč on a lâhabitude de ne voir quâun, Ă penser deux, donc Ă faire la diffĂ©rence, Ă diviser, Ă sâopposer, dans un esprit, non dâacceptation, mais de contestation et de refus13. Ă cela sâajoute que ces valeurs, dont la position rĂ©pond au mouvement mĂȘme de la vie, nâont pas le statut de formes dĂ©finitivement structurĂ©es et prĂ©cisĂ©ment localisĂ©es vers lesquelles il nây aurait quâĂ faire retour ce sont des tendances, qui, tournĂ©es vers lâavant, propulsent le donnĂ© dans le sens de sa transformation, sa VerĂ€nderung » dirait-on dans le langage de Marx ; elles ne consistent pas en lâadaptation Ă des normes imposĂ©es du dehors mais en lâinvention de nouvelles normes dont le style, le schĂšme » dirait-on dans le langage de Kant14, se prĂ©cise au fur et Ă mesure de leur exercice. Câest pourquoi, thĂšse sur laquelle Canguilhem est revenu inlassablement, sans trouver de raison valable pour la remettre en question, câest la maladie qui est la vĂ©ritĂ© de la santĂ©, le pathologique lâĂ©preuve du normal, et non lâinverse Vivre, pour lâanimal dĂ©jĂ , et Ă plus forte raison pour lâhomme, ce nâest pas seulement vĂ©gĂ©ter et se conserver, câest affronter des risques et en triompher. La santĂ© est prĂ©cisĂ©ment, et principalement chez lâhomme, une certaine latitude, un certain jeu des normes de la vie et du comportement. Ce qui la caractĂ©rise, câest la capacitĂ© de tolĂ©rer la variation des normes auxquelles seule la stabilitĂ©, apparemment garantie et toujours nĂ©cessairement prĂ©caire, des situations et du milieu, confĂšre une valeur trompeuse de normal dĂ©finitif. »15 Cela est vrai de toutes les expĂ©riences de la vie sans exception, au nombre desquelles lâeffort en vue de connaĂźtre objectivement la rĂ©alitĂ© qui dĂ©finit en propre lâesprit scientifique cet effort, bien loin de procĂ©der dâune rupture avec le monde de la vie qui, une fois accomplie, permettrait de suivre, dâacquis en acquis, une voie uniment progressive rĂ©pondant aux seules nĂ©cessitĂ©s du raisonnement pur, nâavance que sous lâimpulsion du conflit des valeurs, Ă travers la confrontation Ă des valeurs nĂ©gatives, câest-Ă -dire en surmontant sans cesse des obstacles ; lâhistoire des sciences a prĂ©cisĂ©ment pour contenu cette interminable confrontation, dont elle restitue les incidences et les rebonds, en sâabstenant de supposer que ceux-ci conduisent quelque part et constituent, sur le modĂšle dâun chemin de croix spĂ©culatif, les Ă©tapes menant Ă un terme dĂ©finitif qui serait la vĂ©ritĂ© ultime et positive des choses. Sur ces bases, il est possible de prendre en considĂ©ration la rĂ©flexion que Canguilhem a consacrĂ©e Ă lâidĂ©e de milieu et dâexaminer le sens dans lequel elle sâest orientĂ©e. Ce qui caractĂ©rise dĂšs lâabord cette idĂ©e, câest lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© et la dispersion des champs auxquels elle renvoie, ce qui favorise la prolifĂ©ration des valeurs nĂ©gatives. Ses implications sont si diverses, mĂȘlĂ©es et fluctuantes16, quâelles en remettent en cause la consistance et la fiabilitĂ©, ce qui ne la rend pas moins stimulante intellectuellement, bien au contraire la pensĂ©e, comme lâhistoire, comme la vie, nâavance pas que par ses bons cĂŽtĂ©s ou par ses bons concepts sur une ligne toute droite dont il nây aurait quâĂ suivre du dĂ©but jusquâĂ la fin le tracĂ©17. Lorsque, suivant sa mĂ©thode habituelle, Canguilhem a abordĂ© le concept de milieu par le biais de lâhistoire complexe de sa formation, câest-Ă -dire aussi de ses transformations et de ses dĂ©formations, il lui a assignĂ© Ă la fois des commencements et une origine. Ses commencements se situent factuellement sur la plan de la gnosĂ©ologie physique câest dans le contexte propre Ă la mĂ©canique newtonienne, fondĂ©e sur le principe de lâaction Ă distance rĂ©cusĂ© par le cartĂ©sianisme, que cette idĂ©e, qui a Ă©tĂ© ensuite transposĂ©e dans le champ de la biologie, a commencĂ© Ă sâĂ©laborer, puis sâest dĂ©veloppĂ©e dans une perspective dâĂ©largissement et dâextension. Toutefois, ces commencements, et ce qui en est peu Ă peu sorti, au terme de dĂ©bats dont celui du lamarckisme, thĂ©orie de lâadaptation au milieu, et du darwinisme, thĂ©orie de la sĂ©lection par le milieu18, fournit une illustration exemplaire, ne restituent pas toute la portĂ©e de ce concept. Celle-ci ne se rĂ©vĂšle que si on remonte jusquâĂ son origine, bien antĂ©rieure Ă ses commencements effectifs. Comme Canguilhem le montre tout Ă la fin de son article sur Le vivant et son milieu », oĂč, aprĂšs avoir restituĂ© lâhistoire sinueuse suivie par lâidĂ©e de milieu de la fin du XVIIe siĂšcle jusquâau XXe siĂšcle, il effectue un Ă©tonnant retour en arriĂšre de deux mille ans, cette origine est stoĂŻcienne Câest la thĂ©orie de la sympathie universelle, intuition vitaliste du devenir universel, qui donne son sens Ă la thĂ©orie gĂ©ographique des milieux. Cette thĂ©orie suppose lâassimilation de la totalitĂ© des choses Ă un organisme, et la reprĂ©sentation de la totalitĂ©, sous la forme dâune sphĂšre, centrĂ©e sur la situation dâun vivant privilĂ©giĂ© lâhomme. »19 Ce type de spĂ©culation, qui assimile le monde non Ă un mĂ©canisme mais Ă un organisme, est orientĂ© dans le sens dâune totalisation tournĂ©e vers le dedans, ce qui suppose un centre, et non plus dans celui dâune expansion indĂ©finie, tendanciellement dĂ©centrĂ©e, tournĂ©e vers le dehors, selon le modĂšle qui a fini par prĂ©dominer lorsque, Ă lâĂ©poque moderne, la reprĂ©sentation de lâunivers infini a supplantĂ© celle dâun cosmos fini et fermĂ© sur lui-mĂȘme. La notion de milieu, telle quâelle se prĂ©sente aujourdâhui, prend sens Ă la croisĂ©e, et en quelque sorte au milieu » de ces deux tendances opposĂ©es dont lâune lui confĂšre le caractĂšre dâune donnĂ©e objective offerte Ă lâanalyse et au calcul, alors que lâautre revĂȘt une dimension subjective qui relĂšve en derniĂšre instance dâune conviction imaginaire, celle de se trouver au centre du monde. Milieu », mot lui-mĂȘme composĂ©, sâĂ©crit et se comprend selon la premiĂšre perspective, dĂ©rivĂ©e de ses commencements, mi-lieu », qui constitue un champ intermĂ©diaire Ă lâintĂ©rieur dâun espace dĂ©centrĂ© et homogĂšne ; selon la seconde, qui dĂ©rive de son origine, il sâĂ©crit et sâinterprĂšte mi-lieu », en rĂ©fĂ©rence Ă la position dâun centre situĂ© Ă lâintĂ©rieur dâun espace qualifiĂ© et diffĂ©renciĂ©20. Ătre au milieu », formule dont Pascal se sert pour caractĂ©riser la condition humaine, câest ĂȘtre au rouet » de ces deux orientations opposĂ©es dont le conflit, la disproportion » comme lâappelle Pascal, gĂ©nĂšre une inquiĂ©tude existentielle21. Toute la question est de savoir si la conception objective » du milieu, qui a donnĂ© naissance Ă une nouvelle physique, fondĂ©e sur le principe gĂ©nĂ©ral du dĂ©terminisme, dâoĂč le concept de milieu a tirĂ© ses commencements, a dĂ©finitivement supplantĂ© la conception subjective » qui a constituĂ© son origine, aprĂšs que celle-ci ait Ă©tĂ© disqualifiĂ©e au nom du primat de la raison sur lâimagination. Or, il nâen est rien, comme on est amenĂ© Ă le constater lorsquâon aborde la notion de milieu au point de vue de la connaissance de la vie, dans une perspective qui nâest plus abstraite et thĂ©orique mais concrĂšte et pratique en effet, il apparaĂźt alors quâil nây a pas de milieu en soi, entiĂšrement dĂ©terminĂ© dans son ĂȘtre par des conditions naturelles, mais il nây a de milieux que pour des vivants, en relation avec leurs besoins et leurs tendances qui ne cessent de les reconfigurer22. La connaissance de la vie nâa pas affaire Ă des ĂȘtres dont la constitution pourrait ĂȘtre Ă©tudiĂ©e indĂ©pendamment des rapports quâils entretiennent avec un milieu dâexistence, qui serait lui-mĂȘme dĂ©terminĂ© en fonction de ses lois propres, donc indĂ©pendamment des vivants qui lâinvestissent sous des formes qui font intervenir la considĂ©ration non seulement de lâĂȘtre mais dâun devoir-ĂȘtre pour cette forme spĂ©cifique de connaissance, et câest ce qui la singularise radicalement, ce qui existe dâemblĂ©e câest lâensemble fluctuant des relations dâinterpĂ©nĂ©tration rĂ©ciproque entre des vivants et leurs milieux dâexistence, ensemble qui constitue une totalitĂ© Ă la fois indĂ©composable, inanalysable, et en cours permanent de transformation. Les milieux des vivants ne sont pas des Ă©tats donnĂ©s une fois pour toutes, relevant dâune logique de lâĂȘtre, mais des champs dâaction, dâintervention et de circulation, offerts comme tels au sens du possible, dans une perspective non pas ontologique mais axiologique23. Cette nouvelle approche de la notion de milieu est confirmĂ©e, sur le plan de lâĂ©thologie animale par la distinction que fait UexkĂŒll entre Umgebung environnement gĂ©ographique neutralisĂ© et Umwelt monde centrĂ© sur un sujet dâinitiatives mettant en Ćuvre ses valeurs propres, sur le plan de la gĂ©ographie humaine par le possibilisme »24 de Vidal de La Blache, sur le plan de la pathologie humaine par la rĂ©flexion de Goldstein au sujet du Kranksein, et sur le plan de lâergonomie par les Ă©tudes que Friedmann a consacrĂ©es aux aspects proprement humains, non mĂ©canisables, du travail industriel25 les uns et les autres ont rĂ©orientĂ© la conception du milieu dans le sens de son recentrement sur un sujet axiologique, Ă lâopposĂ© de la tendance dĂ©terministe, objectivante et neutralisante, privilĂ©giĂ©e par un rationalisme positiviste et scientiste. Toutefois, il ne faudrait pas croire que cette resubjectivation va dans le sens dâun retour en arriĂšre, câest-Ă -dire dâune rĂ©habilitation de lâanimisme sur lequel avait Ă©tĂ© bĂątie la conception antique du cosmos elle amĂšne au contraire Ă reprendre de fond en comble, en vue de reconstruire cette notion sur de nouvelles bases, la notion de sujet en tant que principe centralisateur autour duquel un monde se dispose et sâorganise, donc prend forme dynamiquement. Pour y voir plus clair Ă ce sujet, il est utile de revenir Ă la question de lâanthropocentrisme, qui est au cĆur, reprenons les termes de Canguilhem qui viennent dâĂȘtre citĂ©s, de la reprĂ©sentation de la totalitĂ©, sous la forme dâune sphĂšre, centrĂ©e sur la situation dâun vivant privilĂ©giĂ© lâhomme ». Cette reprĂ©sentation, qui a longtemps prĂ©valu, a Ă©tĂ© disqualifiĂ©e quand a Ă©tĂ© effectuĂ©, Ă lâĂ©poque moderne, le passage du gĂ©ocentrisme Ă lâhĂ©liocentrisme dont a rĂ©sultĂ© une objectivation de la notion de milieu allant dans le sens de son illimitation et de son dĂ©centrement lâhomme nâa pu alors continuer Ă se percevoir comme se trouvant au centre du monde, et dâun monde fait Ă sa mesure, mais il a Ă©tĂ© rejetĂ© Ă sa pĂ©riphĂ©rie, une pĂ©riphĂ©rie qui se trouve Ă la fois partout et nulle part. Mais, congĂ© ayant Ă©tĂ© ainsi donnĂ© au prĂ©jugĂ© anthropocentriste, on nâen a pas fini pour autant avec un autre prĂ©supposĂ©, qui est celui de lâanthropomorphisme, comme le montre Canguilhem dans son article sur Lâhomme et lâanimal dâun point de vue psychologique selon Charles Darwin ». Dans La Descendance de lâhomme 1871 et dans lâouvrage consacrĂ© Ă lâExpression des Ă©motions chez lâhomme et chez lâanimal 187226 sont jetĂ©es les bases dâune psychologie comparĂ©e qui relie lâhomme et lâanimal en installant entre eux une diffĂ©rence, non de nature, mais de degrĂ©, ce qui revient Ă projeter sur lâensemble des vivants un principe de mesure que son caractĂšre quantitatif rend homogĂšne dans lâabstrait, et qui est en rĂ©alitĂ© calquĂ© sur le type des classifications humaines. Alors, câest par rapport Ă lâhomme que lâensemble des vivants se trouve Ă©valuĂ©, ce qui incite Ă nous reprĂ©senter comme des animaux Ă valeur ajoutĂ©e »27, donc, inversement, Ă reprĂ©senter les animaux comme des hommes Ă valeur diminuĂ©e, et mĂȘme, si on adopte le paradigme de lâĂ©chelle des ĂȘtres, de plus en plus diminuĂ©e. En consĂ©quence, câest dĂ©valoriser lâanimal pour valoriser lâhomme au nom de la conception que celui-ci se fait de ses propres valeurs, alors que celles-ci sont Ă©trangĂšres Ă celles des autres vivants En somme la Descendance de lâhomme aurait seulement opĂ©rĂ© un coup de force dans la nomenclature. Lâadjectif sapiens, jusquâalors accolĂ© Ă homo, serait dĂ©sormais accolĂ© Ă animal, homo y compris. Mais dans ce transfert lâadjectif conserverait quelque empreinte du substantif auquel il Ă©tait initialement appliquĂ©. »28 Suivi jusquâĂ ses ultimes consĂ©quences, ce prĂ©supposĂ© anthropomorphique conduit Ă penser quâil nây a de vrai sujet, pleinement constituĂ©, quâhumain, les autres vivants Ă©tant renvoyĂ©s au statut de quasi sujets, sujets incomplets, imparfaits, voire mĂȘme manquĂ©s, auxquels fait dĂ©faut, du moins en partie, la capacitĂ© entiĂšre dâĂ©valuation et de jugement qui appartient Ă lâhumain comme tel et le dĂ©finit. Cette position est celle dâun Ă©volutionnisme de premier degrĂ©, au point de vue duquel lâantĂ©rieur est automatiquement infĂ©rieur, et le postĂ©rieur supĂ©rieur. Or, dĂšs la thĂšse de mĂ©decine de 1943, Canguilhem avait pris nettement distance avec une telle maniĂšre de voir Vivre, câest, mĂȘme chez une amibe, prĂ©fĂ©rer et exclure. »29 PrĂ©fĂ©rer et exclure, en faisant la diffĂ©rence entre ce qui est estimĂ© utile et le nuisible, manifestations Ă©lĂ©mentaires de la polaritĂ© de la vie, câest exprimer des exigences, en rapport avec un devoir-ĂȘtre, donc, au sens propre du terme, juger, mĂȘme si ce nâest pas en conscience et Ă bon escient. Dans des notes rĂ©digĂ©es en 1941 au moment oĂč Canguilhem est engagĂ© dans le travail de prĂ©paration de sa thĂšse de mĂ©decine, il Ă©crit Si nous admettons, en accord du reste avec la suggestion Ă©tymologique, que juger câest discriminer et Ă©valuer, pourquoi refuserions-nous le jugement mĂȘme Ă une amibe, Ă un vĂ©gĂ©tal ? Partout oĂč il y a vie [âŠ] il y a discernement et choix et donc il y a jugement. Parce que la conscience relative dont il jouit permet Ă lâhomme de construire une thĂ©orie du jugement, cela nâentraĂźne pas que la puissance de juger commence Ă lui et soit refusĂ©e aux vivants autres que lui. »30 De ce que la puissance de juger ne commence pas Ă lâhomme rĂ©sulte que ce nâest pas en fonction des normes Ă©dictĂ©es par lâhomme dâaprĂšs les modalitĂ©s spĂ©cifiques que cette puissance de juger revĂȘt pour lui et si lâon veut en lui, dans son monde propre, que celle-ci doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e gĂ©nĂ©ralement, ce qui revient Ă la faire rentrer dans une grille homogĂšne et continue oĂč toutes les formes possibles dâexercice de cette puissance de prĂ©fĂ©rer et dâexclure sont rabattues sur un mĂȘme type intellectualisĂ© repris de lâhomme. De ce point de vue, le prĂ©jugĂ© anthropomorphique nâest quâun avatar de lâontologisme qui fait tout rentrer dans lâordre du mĂȘme. Sans doute, lâamibe, lorsquâelle prĂ©fĂšre ou exclut, donc lorsque, Ă son niveau, â quantum in se est », dirait Spinoza â, elle juge, ne le fait pas, non seulement de la mĂȘme maniĂšre, mais de maniĂšre comparable, câest-Ă -dire Ă©valuable en termes de plus ou de moins, avec celle qui est propre Ă lâhumain elle le fait de maniĂšre toute diffĂ©rente â Spinoza dirait selon les exigences de son conatus propre31 â, ce qui exclut une telle comparaison. Sur le plan de la vie, sâil y a partout puissance de juger, câest-Ă -dire de discriminer lâutile du nuisible, il nây a pas de forme universelle du jugement posĂ©e en rĂ©fĂ©rence Ă des modĂšles idĂ©aux du bien et du mal qui, considĂ©rĂ©s pour eux-mĂȘmes, auraient une portĂ©e purement thĂ©orique et seraient susceptibles dâĂȘtre rationalisĂ©s. La puissance de juger sâexerce selon des types irrĂ©ductibles les uns aux autres chez tous les vivants sans exception, â y compris les vĂ©gĂ©taux ; ces derniers, bien quâils ne disposent dâaucune mobilitĂ© ne sont pas tout Ă fait privĂ©s de sensibilitĂ©, donc ont, mĂȘme si cette conscience nâest pas rĂ©flĂ©chie et ne sâaccompagne pas de conscience de soi, conscience de leur environnement dont ils ressentent la prĂ©sence Ă travers les sollicitations venues de lui quâils perçoivent parce quâelles ont un sens pour eux 32. Cela signifie que ces vivants sont tous, chacun Ă sa maniĂšre, sujets de jugement, en lâabsence dâune forme-sujet gĂ©nĂ©rale, dĂ©finissable une fois pour toutes dans sa forme, Ă laquelle ces diffĂ©rentes façons dâĂȘtre sujet puissent ĂȘtre rapportĂ©es lorsque lâhomme Ă©labore lâidĂ©e dâune forme-sujet dotĂ©e de conscience, câest dans le contexte propre Ă ses conditions dâexistence qui impliquent la capacitĂ© de rĂ©flĂ©chir et de raisonner mise en Ćuvre, cultivĂ©e et mĂ©morisĂ©e au cours de sa longue histoire par Homo sapiens. De cette conscience-lĂ , qui nâest cependant pas le type universel de la conscience mais reprĂ©sente les modalitĂ©s de celle-ci qui ont Ă©tĂ© informĂ©es par la culture et les pratiques mĂ©morielles qui lui sont propres, le vĂ©gĂ©tal et lâamibe sont manifestement privĂ©s mais cela ne les empĂȘche pas dâĂȘtre eux aussi, dans lâordre qui les dĂ©finit, sujets » Ă lâintĂ©rieur de leurs mondes oĂč ils dĂ©tiennent, dans certaines limites, autant quâil est en eux de le faire, la position de centres de jugement et dâinitiative, capables comme tels de rĂ©agir Ă des sollicitations venues de leur environnement. Il en rĂ©sulte que ĂȘtre sujet, pour un vivant quel quâil soit, ce nâest pas prioritairement ĂȘtre sujet de raison, ce qui, Ă la rigueur, mais câest encore bien rĂ©ducteur, peut ĂȘtre avancĂ© Ă propos de lâhomme, mais câest ĂȘtre sujet dâaction, engagĂ© dans le monde dâune maniĂšre qui nâest pas uniquement reprĂ©sentationnelle et mentale mais aussi, et mĂȘme avant tout, comportementale et corporelle. Ătre sujet, ce qui nâest pas une condition donnĂ©e de maniĂšre statique, câest donc avant tout se trouver dans un rapport dâinterpĂ©nĂ©tration rĂ©ciproque avec son milieu dâexistence, et adopter tant bien que mal, en prenant des risques, les allures de vie qui rĂ©pondent dynamiquement Ă ce rapport ; en consĂ©quence, câest dĂ©velopper, autant quâon y est enclin par sa nature, le sens du possible. Devoir ĂȘtre, Ă ce point de vue, ne se rĂ©sume pas au fait de se soumettre mĂ©caniquement Ă des obligations extĂ©rieures, mais consiste Ă ĂȘtre inclinĂ© par sa nature propre dans le sens dâun mouvement tendanciel dont le principe est immanent Ă son sujet »33. LâidentitĂ© dâun tel sujet, qui nâest pas rĂ©ductible Ă un Ă©tat ou Ă un acquis, est elle-mĂȘme tendancielle, câest-Ă -dire quâelle se constitue et se transforme au fur et Ă mesure que se dĂ©roule le cycle de ses interfĂ©rences avec son milieu ; elle reste une virtualitĂ© qui demeure en permanence Ă mettre en Ćuvre34. Ă ce point de vue, il nây a de milieu, comme il nây a de sujet, que virtuels. Ce qui spĂ©cifie lâhumain par rapport aux autres vivants, câest que cette plasticitĂ© est portĂ©e par lui Ă sa puissance maximale lâĂ©volution naturelle et son histoire propre, qui, il ne faut pas lâoublier, est issue de cette Ă©volution et nâen est en fin de compte quâune production dĂ©rivĂ©e, une branche », lui ont donnĂ© la capacitĂ© Ă la fois de changer son milieu, par lâintermĂ©diaire de la technique, et, au besoin, de changer de milieu en sâexterritorialisant, capacitĂ© dont les autres espĂšces ne disposent pas, du moins Ă ce degrĂ© et Ă ce rythme. La reconfiguration de la notion de sujet appelĂ©e par la connaissance de la vie en Ă©largit donc lâextension en rĂ©trĂ©cissant sa comprĂ©hension ĂȘtre sujet, au point de vue propre Ă cette connaissance, ce nâest rien de plus que prĂ©fĂ©rer et exclure, en Ă©tant exposĂ© Ă la polaritĂ© de la vie et de ses valeurs. Est-il permis de parler Ă ce propos de rĂ©volution copernicienne » ? Cette formule, on le sait, peut ĂȘtre prise dans des sens opposĂ©s. Dans son sens littĂ©ral, celui de Copernic, elle Ă©voque la procĂ©dure de dĂ©centration et dâobjectivation qui dĂ©bouche Ă terme sur la reprĂ©sentation de lâunivers infini35. Dans la reprise paradoxale qui en a Ă©tĂ© effectuĂ©e par une certaine vulgate kantienne, elle indique, exactement Ă lâinverse, une opĂ©ration de recentrement, qui replace le sujet au centre dâun monde alors, ce dernier cesse dâĂȘtre le monde » en gĂ©nĂ©ral et devient, en particulier, son monde », celui quâil recrĂ©e Ă sa mesure en utilisant les moyens qui lui sont fournis par son organisation mentale, sa raison ». Lorsquâil forge le concept dâUmwelt, UexkĂŒll explique que la biologie trouve accĂšs Ă la doctrine de Kant quâelle va scientifiquement exploiter dans la thĂ©orie des milieux en insistant sur le rĂŽle dĂ©cisif du sujet »36 ce rĂŽle dĂ©cisif concĂ©dĂ© au sujet revient Ă le placer au centre dâun monde qui est, Ă tous Ă©gards, le sien », et ne peut en consĂ©quence ĂȘtre reprĂ©sentĂ© comme un ordre de rĂ©alitĂ© universellement diffus et englobant, espace neutre indĂ©pendant de la position du sujet qui lâoccupe ou qui lâhabite. Lorsquâil fait ce rapprochement, UexkĂŒll ne tient pas compte du fait que le sujet auquel il fait rĂ©fĂ©rence, qui se pose comme tel en rapport Ă lâUmwelt quâil reconfigure autour de lui en fonction de ses valeurs propres, nâest pas, comme lâenvisage Kant, un sujet mental, soumis aux rĂšgles dâune raison pure, mais un sujet corporel, dâemblĂ©e engagĂ© dans le monde oĂč il agit, ce qui change tout ce sujet nâest en aucun cas un esprit tournĂ© prioritairement vers soi, un sujet qui se » pense, mais un ĂȘtre que son organisation corporelle, si elle peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e en elle-mĂȘme et pour elle-mĂȘme dâun point de vue anatomique, met, si on la considĂšre sur le plan de son fonctionnement, donc dâun point de vue physiologique, en rapport avec dâautres ĂȘtres naturels, vivants ou non vivants, Ă lâĂ©gard desquels il est amenĂ© Ă entretenir des rapports actifs de prĂ©fĂ©rence ou dâexclusion, en formulant les exigences propres Ă un devoir-ĂȘtre » en cours dâeffectuation. Dâautre part, UexkĂŒll donne Ă penser que, Ă son point de vue, chaque monde conformĂ© en rapport avec un certain type de vivant et centrĂ© sur ses besoins spĂ©cifiques se prĂ©sente comme un empire autonome, enfermĂ© dans les limites de son ordre propre, tanquam imperium in imperio, serait-on tentĂ© de dire ; il faudrait alors traduire cette formule comme un empire dans lâempire », ce second empire, qui contient tous les autres, Ă©tant le monde en gĂ©nĂ©ral. En vue de dĂ©velopper cette idĂ©e, UexkĂŒll utilise une parabole , celle du chĂȘne et de ses habitants qui, selon ses propres termes, fournit le tĂ©moignage de ce qui se produit en grand dans le grand arbre de la nature »37. Pour les animaux qui sây sont installĂ©s, â le renard qui a construit sa taniĂšre entre ses racines, la chouette qui a trouvĂ© au croisement de ses branches un poste dâobservation commode, la fourmi qui fouille sous lâĂ©corce de son tronc, etc. â, la mĂȘme rĂ©alitĂ© naturelle fait lâobjet de dĂ©coupes diffĂ©rentes38. Le sujet-chĂȘne, sujet-monde qui porte et renferme tous les milieux », contient les empires particuliers que sây taillent, chacun pour soi, les diffĂ©rents vivants qui lâhabitent en ignorant son existence et sans rien savoir de sa nature il constitue pour eux lâĂ©quivalent de la chose en soi inconnaissable Ă laquelle ils nâont pas besoin de se rĂ©fĂ©rer pour exister et pour agir Ă leur façon propre. Lâunivers tel que UexkĂŒll lâinterprĂšte, est peuplĂ© de sujets, sujets intentionnels Ă dĂ©faut dâĂȘtre rĂ©flĂ©chis et conscients des buts vers lesquels leurs comportements sont orientĂ©s ; ces sujets dĂ©ploient autour dâeux des mondes composĂ©s de signes que, sâils ne les ont pas Ă proprement parler produits, tirĂ©s absolument du nĂ©ant, ils ont sĂ©lectionnĂ©s. Kurt Goldstein a opposĂ© Ă cette maniĂšre de voir lâobjection suivante Ce ne serait possible que si chaque organisme individuel vivait solidement encastrĂ© dans un monde Ă part, son environnement, et si pour lui le reste du monde nâexistait pas. Mais dans ce cas le problĂšme de lâorganisme serait simplement dĂ©placĂ© pour devenir le problĂšme de cet environnement dĂ©terminĂ©. En rĂ©alitĂ© la situation est toute diffĂ©rente. Chaque organisme vit dans un monde qui est loin de ne contenir que des excitations adĂ©quates Ă cet organisme, il ne vit point dans son seul environnement », mais au contraire dans un monde oĂč toutes les autres excitations possibles se font sentir et agissent sur lui. Câest de cet environnement en quelque sorte nĂ©gatif quâil doit venir Ă bout. En rĂ©alitĂ© il se fait sans cesse un choix parmi les Ă©vĂ©nements du monde selon quâils appartiennent » Ă lâorganisme ou quâils nâappartiennent pas Ă lâorganisme. Lâenvironnement dâun organisme nâest point quelque chose dâachevĂ©, mais il se forme sans cesse Ă nouveau dans la mesure oĂč lâorganisme vit et agit. »39 Lâenvironnement dâun organisme nâest point quelque chose dâachevĂ© » il nâest pas donnĂ© tel quel avec lâorganisme, au titre dâun prolongement ou dâune Ă©manation de sa constitution, mais il est le rĂ©sultat de son activitĂ© temporelle, au cours de laquelle lâorganisme est en prise avec un monde dans lequel il lui faut Ă chaque fois se refaire une place en tenant compte des circonstances du moment. Pour revenir au modĂšle du chĂȘne, celui-ci ne se prĂ©sente pas comme un immeuble Ă plusieurs Ă©tages dont les diffĂ©rents occupants seraient confinĂ©s dans des appartements sĂ©parĂ©s, et nâauraient lâoccasion de se rencontrer, fugitivement et sans suite, que lorsquâils en empruntent les parties communes ». Se retrouve ici lâambiguĂŻtĂ© constitutive de la notion de milieu, qui ne fonctionne pas Ă sens unique, mais est rĂ©versible, dans la mesure oĂč elle joue simultanĂ©ment du centre vers la pĂ©riphĂ©rie mais aussi de la pĂ©riphĂ©rie vers le centre, ce qui lui confĂšre instabilitĂ© et inachĂšvement. La relation du vivant Ă son milieu ne prĂ©sente donc pas le caractĂšre dâun fait immuable, objectivement donnĂ©, mais elle est tendancielle, en cours dâeffectuation, jamais achevĂ©e ; câest pourquoi son allure est celle dâun devoir-ĂȘtre » dont la rĂ©alisation, soumise aux conditions de la prĂ©caritĂ©, nâest pas garantie. La fable du chĂȘne racontĂ©e par UexkĂŒll offre une certaine analogie avec la parabole du hĂ©risson que Canguilhem commente dans La connaissance de la vie 40. Dans la piĂšce de Giraudoux, Electre, Ă laquelle cette parabole est empruntĂ©e, le mendiant qui la rapporte sâinterroge sur le destin tragique qui amĂšne les hĂ©rissons Ă traverser des routes oĂč ils se font Ă©craser. Or, selon Canguilhem, cette interrogation nâa aucun sens si on prend en compte les conditions dans lesquelles les hĂ©rissons sont amenĂ©s Ă se dĂ©placer, non pas dans lâespace en gĂ©nĂ©ral, mais dans leur espace Ă eux, tel quâil se dĂ©finit en fonction des besoins et tendances des vivants quâils sont, câest-Ă -dire prĂ©cisĂ©ment des hĂ©rissons Ă lâintĂ©rieur de cet espace, il nây a pas de routes, celles-ci Ă©tant tracĂ©es par les hommes Ă travers leur espace spĂ©cifique dâhommes modifiĂ© par les moyens des techniques humaines. En consĂ©quence, il nây a pas lieu de se demander quelle fatalitĂ© amĂšne les hĂ©rissons Ă traverser les routes tracĂ©es par les hommes, car ces routes, qui figurent dans lâespace des hommes, nâont pas place dans leur espace de hĂ©rissons, ce qui explique quâils sây lancent Ă lâaveugle. Mais il faut aller plus loin si les hĂ©rissons ne traversent pas les routes humaines, ces derniĂšres, elles, coupent, lacĂšrent, lâespace configurĂ© en fonction de leur nature propre de hĂ©rissons, ce qui a pour eux des consĂ©quences fatales quâils ne pouvaient prĂ©voir car elles Ă©taient privĂ©es pour eux de signification. Il serait donc inappropriĂ© de soutenir que les espaces vitaux des hommes, des hĂ©rissons, et de toutes les autres espĂšces de vivants, se cĂŽtoient sans jamais se rencontrer, Ă la maniĂšre de locaux cloisonnĂ©s qui coexistent dans le cadre dâun immeuble collectif oĂč, Ă©tant rĂ©unis, ils restent cependant dĂ©finitivement indĂ©pendants les uns des autres bien au contraire, la rĂ©alitĂ© effective des mouvements vitaux accomplis Ă lâintĂ©rieur de ces diffĂ©rents espaces est affectĂ©e par les diverses formes que sont exposĂ©s Ă prendre leurs croisements, Ă lâintĂ©rieur dâun monde oĂč, en permanence, ils interfĂšrent ou risquent dâinterfĂ©rer. Se retrouve ici la conflictualitĂ© immanente Ă la notion de milieu, qui fluctue entre deux pĂŽles extrĂȘmes, lâun objectif, neutre et indiffĂ©renciĂ©, lâautre subjectif, qualifiĂ© et valorisĂ©. Ce quâon appelle espace est pris entre ces deux maniĂšres dâexister selon lâune, il dĂ©ploie ses rĂ©gularitĂ©s sur un plan gĂ©nĂ©ral, uniformĂ©ment, nĂ©cessairement, sans privilĂ©gier aucun type dâĂȘtre ou de comportement ; selon lâautre, il revĂȘt des allures spĂ©ciales, diversifiĂ©es, orientĂ©es en fonction des besoins des sujets qui en font leur champ dâaction. Dâun cĂŽtĂ©, il obĂ©it Ă la logique de lâĂȘtre, en vertu de laquelle il nâest quâun contenant pour des mi-lieux ; de lâautre cĂŽtĂ©, il est mobilisĂ©, entraĂźnĂ© par lâĂ©lan du devoir-ĂȘtre qui le diversifie en mi-lieux incommensurables entre eux. Dans une telle situation, vivre, persĂ©vĂ©rer dans son ĂȘtre, câest-Ă -dire avoir Ă ĂȘtre, en Ă©tant portĂ© par la puissance du virtuel et non en se soumettant aveuglĂ©ment Ă des rĂšgles, nâest possible quâen relation Ă la fois avec un mi-lieu et avec un mi-lieu. Il en rĂ©sulte que ce nâest pas un Ă©tat garanti, mais une expĂ©rience paradoxale, contrastĂ©e, hasardeuse, pleine de risques, incertaine, tendancielle, Ă la fois centrĂ©e et dĂ©centrĂ©e, tiraillĂ©e entre les deux pĂŽles de lâobjectif et du subjectif, dont lâopposition nâest pas susceptible dâĂȘtre rĂ©solue. Le principal point dâinflexion du parcours suivi par Canguilhem a Ă©tĂ© la dĂ©cision dâentreprendre des Ă©tudes de mĂ©decine, dĂ©cision philosophique motivĂ©e par le dĂ©sir de donner un contenu concret, puisĂ© Ă mĂȘme le dĂ©roulement des processus vitaux, Ă la rĂ©flexion au sujet du devoir-ĂȘtre. [â©]Cf. la reproduction de la confĂ©rence Le cerveau et la pensĂ©e », placĂ©e en tĂȘte du recueil des Actes du Colloque de 1990, Georges Canguilhem, philosophe, historien des sciences, Paris, Albin Michel, 1993, p. 29. [â©]La maxime comtienne Connaissance dâoĂč prĂ©voyance, prĂ©voyance dâoĂč action », qui Ă©tablit, entre la science et la technique, une relation directe dâapplication, prĂ©figure Ă sa maniĂšre la rationalisation du travail humain mise en oeuvre par le taylorisme, qui fait de lâouvrier un organe de la machine, comme le montrent les recherches de G. Friedmann auxquelles Canguilhem a fait Ă maintes reprises rĂ©fĂ©rence. Cette mĂ©canisation tendancielle du travail, qui repose sur la procĂ©dure de normalisation par laquelle sont engendrĂ©s des sujets productifs calibrĂ©s en vue dâaccomplir le type de tĂąches auxquelles ils sont vouĂ©s, constitue une forme de subordination Ă la loi de lâĂȘtre, Ă la loi des choses ; celle-ci suscite inĂ©vitablement des rĂ©sistances, donc lâappel Ă un devoir-ĂȘtre qui, Ă terme, retourne le rapport de la connaissance et de lâaction. Marx pensait Ă quelque chose de ce genre lorsquâil avançait, en vue de rĂ©duire les prĂ©tentions autotĂ©liques de la raison, la thĂšse du primat de la pratique. [â©]Avec une ironie cinglante pleine de sous-entendus, la Note sur la situation faite en France Ă la philosophie biologique » Ă©pingle au passage le tropisme spiritualiste propre Ă la philosophie de tradition française, prompt Ă engendrer lâhabitude de ne plus cultiver le jardin, en laissant ce soin Ă la Providence » Oeuvres ComplĂštes, t. IV, Paris, Vrin, 2015, p. 319. [â©]Kant, Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur nĂ©gative, trad. fr., Paris, Vrin, 1949, p. 76. Cette traduction, prĂ©cĂ©dĂ©e dâune longue introduction, avait constituĂ© un travail de maĂźtrise rĂ©alisĂ© Ă Strasbourg par R. Kempf sous la direction de Canguilhem, qui en a lui-mĂȘme prĂ©facĂ© lâĂ©dition. [â©]Dans son Esquisse dâune philosophie des valeurs 1939, E. DuprĂ©el, que Canguilhem avait lu de prĂšs, dĂ©clare Un concept nâest possible que par un refoulement dans lâindĂ©terminĂ© de tout ce quâon ne fait pas entrer dans sa comprĂ©hension ; il appelle le correctif de son anti-concept. Ce mot ne veut pas dire son contraire, mais son complĂ©ment » p. 73, et Le philosophe est le penseur qui ne fait jamais abstraction des complĂ©mentaires » p. 289. [â©] La contradiction est une opposition absolue, lâopposĂ© y est la nĂ©gation, sans rĂ©serves, du posĂ©. Or, si cela est, lâun des deux termes seul peut ĂȘtre rĂ©el, puisque lâautre est tout nĂ©gatif. Mais le cas des contraires est tout dissemblable. Ils ne se nient pas entiĂšrement lâun lâautre et cela demande quâils aient de la rĂ©alitĂ© lâun comme lâautre. La contrariĂ©tĂ© en un mot, est une opposition rĂ©elle. » O. Hamelin, Essai sur les Ă©lĂ©ments principaux de la reprĂ©sentation, Paris, PUF, 1952, p. 11 [â©]Rickert, ThĂšses pour le systĂšme de la philosophie » 1932, trad. fr. in Le systĂšme des valeurs et autres articles, Paris, Vrin, 2007, p. 266. Il est Ă noter que, lorsque Rickert assigne pour but Ă la philosophie de progresser jusquâau tout », il veut dire quâelle doit sâorienter dans le sens de cette progression, sans toutefois que cela signifie que celle-ci puisse parvenir Ă son terme. [â©]G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, PUF/Quadrige, 1988, p. 135. [â©]Id., p. 176. [â©]Dans le Cours de philosophie gĂ©nĂ©rale et de logique professĂ© en 1942-1943, donc au moment oĂč Canguilhem compose son Essai sur quelques problĂšmes concernant le normal et le pathologique, lâutopie est ainsi caractĂ©risĂ©e Lâutopie, câest le nom que prend en matiĂšre sociale le caractĂšre dâexigence opposĂ© Ă lâexistence, de tout jugement normatif » Ćuvres complĂštes, t. IV, Paris, Vrin, 2015, note, p. 108. Lâesprit dâutopie, câest cette incitation Ă aller au-delĂ de ses manifestations donnĂ©es qui, de lâintĂ©rieur, creuse le rĂ©el elle lâengage sur la voie du devoir-ĂȘtre et de ses exigences » qui lui prescrivent dâĂȘtre plus que ce quâil est, de se dĂ©passer. Cette maniĂšre dâapprĂ©hender lâutopie nâest pas Ă©loignĂ©e de celle dĂ©veloppĂ©e par Ernst Bloch Ă partir de lâopposition entre possible rĂ©el » et possible objectif » qui, comme Bergson lâavait fait dans sa confĂ©rence sur Le possible et le rĂ©el », procĂšde du renversement de la relation du possible au rĂ©el le possible ne se situe pas en attente dâun rĂ©el dont il constituerait la promesse ou lâannonce anticipĂ©e, mais il reprĂ©sente dâemblĂ©e la face nĂ©gative de ce rĂ©el dont il est la projection en acte ; il ne se situe pas en arriĂšre du rĂ©el, comme un rĂ©el en puissance, mais devant lui, au titre dâune exigence qui pousse activement dans le sens de sa transformation, de sa transformation rĂ©volutionnaire dirait-on dans le langage du marxisme. Etwas fehlt », refrain dâune des chansons du Mahagonny de Brecht que Bloch a Ă©rigĂ© en maxime de lâesprit dâutopie, exprime la puissance de transformation dont est porteur en lui-mĂȘme, en tant que schĂšme pratique, le nĂ©gatif. [â©]Dans le mĂȘme sens, F. Deligny place en alternative aux convictions surplombantes du croire » les expĂ©riences hasardĂ©es par le craindre », qui assume les incertitudes du monde tel quâil est ou tel quâil paraĂźt ĂȘtre dans lequel il essaie tant bien que mal de sâorienter. [â©]Lâappel aux valeurs, loin dâĂȘtre portĂ© par un esprit consensuel de rĂ©conciliation, remplit avant tout une fonction corrosive de contestation. Câest dans ce sens que Canguilhem a interprĂ©tĂ© la leçon de rĂ©sistance » quâil avait reçue de CavaillĂšs. [â©]Dans son Commentaire au troisiĂšme chapitre de LâEvolution crĂ©atrice, Canguilhem Ă©crit Le schĂšme, câest moins une forme quâune indication, une direction de forme » Ćuvres ComplĂštes, t. IV, Paris, Vrin, 2015, p. 158, ce qui souligne le caractĂšre essentiellement dynamique de cette notion. Selon Kant, le principe du schĂ©matisme, fonction de lâimagination qui est en derniĂšre instance le moteur de lâactivitĂ© de la raison, est logĂ© dans les replis secrets de lâĂąme humaine au titre dâune exigence, et mĂȘme pourrait-on dire dâune exigence vitale, il en reprĂ©sente, au sens propre du terme, la tendance la plus profonde. Câest ce qui a conduit Heidegger, dans son livre sur Kant et le problĂšme de la mĂ©taphysique, Ă rĂ©interprĂ©ter lâensemble de la dĂ©marche critique Ă la lumiĂšre de ce schĂ©matisme », qui place lâimagination au cĆur du fonctionnement de la raison, proposition renversante, dâoĂč ressort une image complĂštement nouvelle du kantisme, qui a choquĂ© au moment oĂč elle a Ă©tĂ© lancĂ©e voir Ă ce sujet le dĂ©bat que, Ă lâoccasion du colloque de Davos, Heidegger a eu en 1929, annĂ©e oĂč son livre a Ă©tĂ© publiĂ©, avec Cassirer, reprĂ©sentant dâun kantisme plus classique, plus rationnel » ; en raison de lâeffet de stimulation quâelle produit, cette relecture dĂ©capante, iconoclaste, mĂ©rite dâĂȘtre prise en compte. [â©] Le normal et le pathologique », in La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1966, p. 167. [â©]En suivant lâhistoire de cette notion, on rencontre des occurrences les plus contradictoires de celle-ci on parle de milieu intĂ©rieur » ou de milieu extĂ©rieur », de milieu propre » centrĂ© comme tel sur une position de sujet ou de milieu naturel » nâimpliquant aucune position de sujet, etc. Etonnamment, cette notion navigue au milieu » de ces occurrences entre lesquelles elle balance sans fin, Ă lâinterface du naturel et de lâartificiel. [â©] Nous estimons que les questions authentiquement importantes sont des questions mal posĂ©es [âŠ] Une question ne peut, en tant que telle, ĂȘtre que mal posĂ©e. » La formation du concept de rĂ©flexe aux XVIIe et XVIIIe siĂšcles, Paris, PUF, 1955, p. 123 Câest prĂ©cisĂ©ment parce quâelle se dĂ©robe Ă une analyse rationnelle directe que la notion de milieu est fĂ©conde, et oblige Ă remettre en question un certain nombre dâidĂ©es reçues. [â©]Dans le contexte propre Ă ce dĂ©bat, le mot milieu » vĂ©hicule des significations complĂštement diffĂ©rentes pour Lamarck, il dĂ©signe la Nature grandiose et tragique des romantiques ; pour Darwin, câest lâensemble limitĂ© des concurrents et agresseurs potentiels qui se disputent un mĂȘme espace vital. On trouve lĂ un exemple de la polysĂ©mie du concept de milieu, qui est le moteur essentiel de son fonctionnement. [â©] Le vivant et son milieu », La connaissance de la vie, p. 15. [â©]Ces deux façons possibles de graphier le mot milieu » sont indiquĂ©es par Canguilhem au bas de la p. 150 de La connaissance de la vie. [â©] Lorsque, tout Ă la fin de la partie complĂ©mentaire du Normal et le pathologique, Canguilhem introduit la thĂ©matique proprement renversante de la maladie de lâhomme normal » Le normal et le pathologique, Paris, PUF/Quadrige, 1966, p. 216, il inscrit sa dĂ©marche dans une telle ambiance dâinquiĂ©tude ; celle-ci est installĂ©e dĂšs lors que sont dissipĂ©es les certitudes dont, sĂ»r de son identitĂ©, se gargarise un sujet de survol qui sâest placĂ© dans une position surplombante par rapport aux alĂ©as de son milieu dâexistence, ce qui lui permet de confĂ©rer Ă sa normalitĂ© » une dimension ontologique, donc dâen faire un Ă©tat stable auquel il attribue illusoirement la capacitĂ© de se perpĂ©tuer Ă lâidentique. Lâhomme dit sain nâest donc pas sain. Sa santĂ© est un Ă©quilibre quâil rachĂšte sur des ruptures inchoatives. La menace de la maladie est lâun des constituants de la santĂ© » id., p. 217. Dans lâĂ©pilogue elliptique quâil a placĂ© en conclusion du Normal et le Pathologique, Canguilhem laisse entendre que lâappel Ă ĂȘtre normatif » en faisant craquer les normes » quâil avait lancĂ© dans son Essai de 1943, appel qui, pris Ă la lettre, tendait Ă minorer la menace de la maladie et Ă faire lâimpasse sur le fait quâelle est lâun des constituants de la santĂ© », Ă©tait le fait dâun homme jeune que la tĂ©mĂ©ritĂ© inclinait Ă dĂ©velopper une conception impĂ©rative, hĂ©roĂŻque, du devoir-ĂȘtre. Vingt ans aprĂšs », le mĂȘme Canguilhem invite son lecteur Ă mesurer combien, avec le temps, nous avons, conformĂ©ment Ă notre discours sur les normes, rĂ©duit les nĂŽtres » id., p. 218 cette formule contournĂ©e suggĂšre quâil est passĂ© Ă une conception plus mesurĂ©e, et en quelque sorte plus rĂ©aliste, du devoir-ĂȘtre, modĂ©rĂ©e par la considĂ©ration des ruptures inchoatives » qui accompagnent inĂ©vitablement sa mise en Ćuvre. Devoir-ĂȘtre signifie alors, non plus imposer par la seule force de sa volontĂ© de nouvelles normes dâexistence allant dans le sens de son Ă©largissement, mais avoir pĂ©niblement Ă ĂȘtre, Ă continuer Ă ĂȘtre, Ă persĂ©vĂ©rer dans son ĂȘtre, en tenant compte des multiples risques de perturbation provoquĂ©s les erreurs de la vie et les incertitudes du milieu, qui, les unes comme les autres, ne peuvent ĂȘtre ni ignorĂ©es ni contrĂ©es frontalement. En forçant le trait, on pourrait dire quâil est alors passĂ© dâune conception morale du devoir-ĂȘtre qui en renvoie la responsabilitĂ© Ă un sujet que sa vigueur momentanĂ©e incite Ă ĂȘtre sĂ»r de soi, ce qui tend Ă lâinstaller dans une position de survol, Ă une conception au sens propre du terme biologique, pratiquĂ©e dans un esprit de surveillance, attentive aux alĂ©as qui, quâil sâen rende compte ou non, remettent en question la stabilitĂ© dont profite provisoirement, de façon inĂ©vitablement prĂ©caire, lâhomme en bonne santĂ©. [â©]ConsidĂ©rer les vivants en les sĂ©parant de leurs milieux dâexistence, câest procĂ©der, en thĂ©orie, Ă une opĂ©ration dâabstraction qui, automatiquement, ĂŽte Ă ces vivants leur capacitĂ© dâagir, donc en fin de compte leur puissance dâexister de tels vivants, privĂ©s de besoins et de tendances, ne sont plus que des choses mortes. Câest en raison de lâimportance quâil attribuait Ă cette question que Canguilhem, lorsquâil a dirigĂ© une collection de textes philosophique Ă lâusage de lâenseignement, sâest rĂ©servĂ© la responsabilitĂ© de composer lâouvrage intitulĂ© Besoins et tendances ». [â©]Selon Foucault, câest cette approche que privilĂ©gient les techniques sĂ©curitaires mises en Ćuvre par le biopouvoir La sĂ©curitĂ© va essayer dâamĂ©nager un milieu en fonction dâĂ©vĂ©nements ou de sĂ©ries dâĂ©vĂ©nements ou dâĂ©lĂ©ments possibles, sĂ©ries quâil va falloir rĂ©gulariser dans un cadre multivalent et transformable. Lâespace propre Ă la sĂ©curitĂ© renvoie donc Ă une sĂ©rie dâĂ©vĂ©nements possibles, il renvoie au temporel et Ă lâalĂ©atoire, un temporel et un alĂ©atoire quâil va falloir inscrire dans un espace donnĂ©. Lâespace dans lequel se dĂ©roulent des sĂ©ries dâĂ©lĂ©ments alĂ©atoires, câest, je crois, Ă peu prĂšs cela que lâon appelle le milieu [âŠ] Le milieu, quâest-ce que câest ? Câest ce qui est nĂ©cessaire pour rendre compte de lâaction Ă distance dâun corps sur un autre. Câest donc bien le support et lâĂ©lĂ©ment de circulation dâune action. Câest donc le problĂšme circulation et causalitĂ© qui est en question dans cette notion de milieu » SĂ©curitĂ©, territoire, population, leçon du 11 janvier 1978, Paris, Gallimard/Seuil, 2004, p. 22. Le milieu, â lâanalyse de Foucault se rapporte au cas prĂ©cis du milieu urbain, Ă lâĂ©poque oĂč la croissance Ă©conomique est liĂ©e au dĂ©veloppement des villes â, câest une portion dâespace offerte Ă des perspectives collectives de dĂ©placement qui ne sont pas autorĂ©gulĂ©es, et en consĂ©quence se prĂȘtent Ă ĂȘtre contrĂŽlĂ©es sĂ©curiser ce genre de milieu, oĂč la circulation est devenue un enjeu de gouvernement, câest anticiper les mouvements qui peuvent sây produire ; câest intervenir de maniĂšre prĂ©visionnelle, non sur du rĂ©el mais sur du possible. [â©]Câest Lucien Febvre qui, dans son livre La terre et lâĂ©volution humaine, Introduction gĂ©ographique Ă lâhistoire 1922, la mĂȘme annĂ©e oĂč ont Ă©tĂ© publiĂ©s Ă titre posthume les Principes de gĂ©ographie humaine de Vidal de la Blache Ă©ditĂ©s par de Martonne, a utilisĂ© le concept de possibilisme » pour rendre compte du tournant opĂ©rĂ© par Vidal de La Blache, en opposition aux gĂ©ographes allemands de lâĂ©cole de Ratzel qui prĂ©sentait les populations comme Ă©tant rivĂ©es et soumises au sol quâelles occupent dont elles subissent le dĂ©terminisme causal. Au point de vue de la nouvelle conception du milieu sur laquelle repose une gĂ©ographie mĂ©ritant Ă plein lâappellation dâ humaine », celui-ci ne consiste pas en un cadre physique, rigidement structurĂ© par sa morphologie qui imposerait ses lois matĂ©rielles Ă ses occupants, mais il est un espace de possibles, Ă explorer et Ă exploiter Ă lâessai, pour voir en quelque sorte, en se guidant, non sur les lois dâune ontologie, mais sur les valeurs dâune axiologie ; un tel espace sâoffre Ă ĂȘtre, au sens fort du terme, habitĂ© selon les besoins qui dĂ©finissent dynamiquement un mode de vie », ensemble de schĂšmes dâexistence virtuels qui se dĂ©finissent peu Ă peu au fur et Ă mesure de leur mise en Ćuvre, en interaction avec le milieu dans lequel ils prennent forme. Une telle conception du milieu, ouverte et non fermĂ©e, se trouvait dĂ©jĂ en germe chez Darwin, en rapport, non seulement avec les besoins humains tels quâils se dĂ©veloppent sous un horizon de culture, mais avec les tendances dâespĂšce propres au vivant en gĂ©nĂ©ral Les possibilitĂ©s dâadaptation dâune espĂšce Ă son milieu peuvent nâĂȘtre pas uniques menacĂ©e dans le cadre dâun certain genre de vie, elle retrouve parfois une place si elle rĂ©ussit Ă modifier son style dâexistence. Les places vacantes » en un lieu donnĂ©, selon la terminologie de Darwin, sont moins des espaces libres que des systĂšmes de vie habitat, mode dâalimentation, dâattaque, de protection qui y sont thĂ©oriquement possibles et non encore pratiquĂ©s » Du dĂ©veloppement Ă lâĂ©volution au XIXe siĂšcle, ThalĂšs, Travaux de lâInstitut dâHistoire des sciences et des techniques de lâannĂ©e 1960, Paris, PUF/Quadrige, 1962, p. 32. La notion de style dâexistence », ici indiquĂ©e au passage, renvoie au mĂȘme contenu que celle de mode de vie » utilisĂ©e par les gĂ©ographes elle suggĂšre que vivre en relation avec un milieu, pour lâhomme comme pour tout vivant, ne consiste pas Ă se soumettre Ă des rĂšgles fixĂ©es une fois pour toutes par la nature du milieu environnant ; mais câest esquisser, en prenant des risques, et dans une perspective dâinachĂšvement, une dĂ©marche inventive qui configure ses buts Ă mĂȘme le mouvement par lequel, sans garanties, elle se dirige vers eux suivant un certain style ». Le Kranksein thĂ©orisĂ© par Goldstein est, Ă sa maniĂšre, un style dâexistence », qui sâoffre Ă ĂȘtre pratiquĂ© dans une situation limite de crise. [â©]Cf., Ă ce sujet, Milieu et normes de lâhomme au travail », compte-rendu publiĂ© en 1947 dans les Cahiers internationaux de sociologie du livre de G. Friedmann, ProblĂšmes humains du machinisme industriel Canguilhem, Ćuvres complĂštes, t. IV, Paris, Vrin, 2015, p. 291 et sq.. [â©]Câest dans ces deux ouvrages, postĂ©rieurs dâune dizaine dâannĂ©es Ă lâEvolution des espĂšces, quâont Ă©tĂ© posĂ©s les premiers jalons de ce qui sâest appelĂ© plus tard le nĂ©o-darwinisme ». [â©]Cette formule est utilisĂ©e par Tim Ingold dans Marcher avec les dragons, trad. fr., Bruxelles, Zones sensibles, 2014, p. 100. [â©] Lâhomme et lâanimal du point de vue psychologique selon Charles Darwin », in Etudes dâhistoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1968, p. 122. [â©]Le normal et le pathologique, p. 84. [â©]Cette note inĂ©dite est citĂ©e par C. Limoges dans son Introduction Ă lâĂ©dition du t. IV des Ćuvres complĂštes de Canguilhem, Paris, Vrin, 2015, p. 35. [â©] Les affects des animaux que lâon dit privĂ©s de raison quae irrationalia dicuntur [âŠ] diffĂšrent des affects des hommes exactement autant que leur nature diffĂšre de la nature humaine. Le cheval comme lâhomme est entraĂźnĂ© par le dĂ©sir libido de procrĂ©er; mais, dans un cas, il sâagit dâun dĂ©sir chevalin, et, dans lâautre, dâun dĂ©sir humain. De mĂȘme aussi les dĂ©sirs et appĂ©tits des insectes, des poissons, des oiseaux, doivent diffĂ©rer les uns des autres alii atque alii esse debent » Ethique III, scolie de la proposition 57. Autrement dit, le dĂ©sir, expression directe du conatus propre Ă chaque ĂȘtre, Ă©chappe Ă une mesure commune conduisant Ă lâĂ©valuer en termes de plus ou de moins en rĂ©fĂ©rence Ă la nature idĂ©ale des buts quâil poursuit. Selon Spinoza, il faut apprĂ©hender les dĂ©sirs en les ramenant Ă leur source, qui est la tendance Ă persĂ©vĂ©rer dans leur ĂȘtre de leurs porteurs, autrement dit la puissance dâagir spĂ©cifique de ceux-ci, et non dâaprĂšs les buts auxquels ils sont rapportĂ©s de façon le plus souvent imaginaire si on juge bonnes certaines choses de prĂ©fĂ©rence Ă dâautres, câest parce quâon les dĂ©sire comme on est incitĂ© Ă le faire par sa constitution propre, Ă©ventuellement modulĂ©e par les alĂ©as dâune histoire personnelle tout vivant ayant son histoire Ă lui, et non lâinverse. Le dĂ©sir de procrĂ©er du cheval sâexplique par sa nature dâespĂšce, qui nâa rien Ă voir avec celle dans laquelle le dĂ©sir de procrĂ©er de lâhomme prend sa source. [â©]Cela autorise-t-il Ă avancer que les plantes, elles aussi, pensent » ? Oui, si on renonce au prĂ©jugĂ© anthropomorphique en dĂ©veloppant une conception de la pensĂ©e qui ne prend pas pour modĂšle les formes spĂ©cifiques selon lesquelles celle-ci est pratiquĂ©e par les humains, Ă la suite dâune longue histoire dont rien ne permet dâailleurs dâaffirmer quâelle ait atteint son terme. Penser, on nâa que trop tendance Ă lâoublier, est en premier lieu une activitĂ© ; davantage encore, câest une activitĂ© qui sâeffectue en contexte, et en rĂ©ponse aux sollicitations transmises par ce contexte ramenĂ©e Ă ses modalitĂ©s Ă©lĂ©mentaires, qui ont leurs racines dans la sensibilitĂ©, â la sensibilitĂ© nâĂ©tant rien dâautre que la conscience quâa lâĂȘtre qui en dispose du contexte dans lequel il vit â, cette activitĂ© consiste Ă opĂ©rer en pratique des choix, sans avoir besoin pour cela de les thĂ©oriser Ă distance. Penser, câest donc en tout premier lieu, avant rĂ©flexion, juger, sâorienter, quitte Ă subir les consĂ©quences de choix qui peuvent ĂȘtre, câest mĂȘme souvent le cas, malheureux, inappropriĂ©s. Les idĂ©es » qui accompagnent ces manifestations spontanĂ©es, primordiales, de la pensĂ©e par lesquelles elle se ramĂšne au fait de prĂ©fĂ©rer et/ou dâexclure, risquent dâĂȘtre, dirait Spinoza, fort inadĂ©quates, ce qui ne les empĂȘche pas, Ă dĂ©faut de pouvoir sâafficher et se faire reconnaĂźtre comme des idĂ©es vraies, dâĂȘtre de vraies idĂ©es. Il est manifeste que ni la plante ni lâamibe nâont souci de la vĂ©ritĂ© les gestes Ă©lĂ©mentaires quâelles accomplissent en Ă©tant guidĂ©es par leur seule sensibilitĂ© tĂ©moignent en elles de lâintervention dâune pensĂ©e revĂȘtant lâallure de ce quâon peut appeler un sens pratique », câest-Ă -dire un savoir-faire non reprĂ©sentationnel, dont les sujets » sont eux-mĂȘmes des sujets pratiques ; ces sujet disposent comme tels dâun certain sens du possible, parce quâils sont engagĂ©s dans des schĂšmes dâaction quâils mettent en oeuvre Ă leur niveau selon un certain style qui leur est propre. Ă ce niveau, qui est Ă la fois le plus Ă©lĂ©mentaire et le plus gĂ©nĂ©ral, penser, activitĂ© concrĂšte qui sâexerce nĂ©cessairement en situation, nâest rien dâautre que sâorienter dans un monde non dĂ©jĂ tout donnĂ©, mais reconfigurĂ© Ă mesure que le sujet qui sây oriente y rĂ©alise en acte les besoins et les tendances qui spĂ©cifient sa position et sa posture de sujet. Câest cette approche des processus de la cognition que Francisco J. Varela esquisse en se servant du concept dâĂ©nactivité» Le monde nâest pas quelque chose qui nous est donnĂ© câest une chose Ă laquelle nous prenons part en fonction de notre maniĂšre de bouger, de toucher, de respirer et de manger [âŠ] Dans la dĂ©marche Ă©nactive, la rĂ©alitĂ© nâest pas un donnĂ© elle dĂ©pend du sujet percevant, non pas parce quâil le construit » Ă son grĂ©, mais parce que ce qui compte Ă titre de monde pertinent est insĂ©parable de ce qui forme la structure du sujet percevant. » Quel savoir pour lâĂ©thique ? action, sagesse et cognition, trad. fr., Paris, La DĂ©couverte, 1996, p. 24 et p. 30. [â©]Selon Francisco J . Varela, ce sujet Ă©nactif», indissociable de sa situation et de son action, nâest pas un sujet rĂ©flexif, sujet dĂ©doublĂ© dĂ©tenant une position surplombante par rapport Ă lâensemble de ses activitĂ©s, activitĂ©s cognitives comprises, quâil contemple comme de lâextĂ©rieur son identitĂ© de sujet nâest jamais acquise dĂ©finitivement, mais elle est le rĂ©sultat dâun travail incessant qui, au fur et Ă mesure de son dĂ©roulement, la compose, la dĂ©compose et la recompose ; câest une identitĂ© virtuelle, qui ne sâaccomplit quâĂ travers ses effets et ses Ćuvres. [â©]Câest ce que veut dire Spinoza lorsquâil utilise la formule persĂ©vĂ©rer dans son ĂȘtre », qui indique, non la conservation Ă lâidentique dâun Ă©tat donnĂ© quâil nây aurait quâĂ perpĂ©tuer, mais le processus par lequel le sujet » concernĂ© est amenĂ© en permanence Ă remettre en question et Ă renĂ©gocier, sans garantie aucune, ses conditions dâexistence. [â©]Ă lâexamen, les choses se rĂ©vĂšlent toutefois plus compliquĂ©es le passage du gĂ©ocentrisme Ă lâhĂ©liocentrisme, se ramĂšne aprĂšs tout au dĂ©placement dâun centrisme » Ă un autre. A. Comte en tirera argument pour revaloriser, dans un esprit de totalisation, le concept de monde, â un cosmos identifiĂ© au systĂšme solaire tel quâil est expliquĂ©, aprĂšs Newton, par Laplace â au dĂ©triment de celui dâunivers. La considĂ©ration du systĂšme solaire dont nous faisons partie nous offre Ă©videmment un sujet dâĂ©tude bien circonscrit, susceptible dâune observation complĂšte, et qui devrait nous conduire aux connaissances les plus satisfaisantes. Au contraire la pensĂ©e de ce que nous appelons lâunivers est par elle-mĂȘme indĂ©finie, en sorte que, si Ă©tendues quâon veuille supposer dans lâavenir nos connaissances rĂ©elles en ce genre, nous ne saurions jamais nous Ă©lever Ă la considĂ©ration de lâensemble des astres. » Cours de philosophie positive, 19e leçon, Oeuvres, t. II, Paris, Anthropos, 1968, p. 7 Le monde, dans ce sens, câest lâensemble des phĂ©nomĂšnes auxquels nous avons accĂšs, lâunivers Ă©tant renvoyĂ© au statut de chose en soi inconnaissable, proprement inhumaine, ou du moins sans intĂ©rĂȘt pour lâhomme. Cependant, dans le Cours de philosophie positive, Comte soutient, thĂšse dont LittrĂ© fera lâun des dogmes du positivisme tel quâil le comprend, que, leur relation dâappartenance rĂ©ciproque Ă©tant Ă©tablie, il faut raisonner du monde Ă lâhomme et non lâinverse Le monde dâabord, lâhomme ensuite telle est, dans lâordre purement spĂ©culatif, la marche positive de notre intelligence, quoique, dans lâordre directement actif, elle doive ĂȘtre nĂ©cessairement inverse. Car les lois du monde dominent celles de lâhomme et nâen sont pas modifiĂ©es. » 40e leçon, Oeuvres, t. III, p. 315. Cette position sera remise en cause durant la seconde carriĂšre philosophique » de Comte, qui fait passer au premier plan la synthĂšse subjective ». [â©]J. von UexkĂŒll, Mondes animaux et monde humain, Paris, Gonthier, 1956, p. 26. [â©]J. von UexkĂŒll, Mondes animaux et monde humain, Paris, Gonthier, 1956, p. 80. [â©] ConformĂ©ment aux diverses connotations dâactivitĂ©, les images perceptives des nombreux habitants du chĂȘne seront structurĂ©es de maniĂšre diffĂ©rente. Chaque milieu dĂ©coupera une certaine rĂ©gion du chĂȘne, dont les particularitĂ©s seront propres Ă devenir porteuses aussi bien des caractĂšres perceptifs que des caractĂšres actifs de leurs cercles fonctionnels [âŠ] Dans les cent milieux quâil offre Ă ses habitants, le chĂȘne joue de multiples rĂŽles, chaque fois avec une autre de ses parties. La mĂȘme partie est tantĂŽt grande, tantĂŽt petite. Son bois, tantĂŽt dur, tantĂŽt mou, sert Ă la protection aussi bien quâĂ lâagression. Si lâon voulait rassembler tous les caractĂšres contradictoires que prĂ©sente le chĂȘne en tant quâobjet, on nâaboutirait quâĂ un chaos. Et pourtant ces caractĂšres ne font partie que dâun seul sujet, en lui-mĂȘme solidement structurĂ©, qui porte et renferme tous les milieux â sans ĂȘtre reconnu ni jamais pouvoir lâĂȘtre par tous les sujets de ces milieux. » id., p. 79-80 [â©]Kurt Goldstein, Der Aufbau des Organismus, La Haye, Martin Nijhoff, 1934, trad. fr., La structure de lâorganisme, Paris, Gallimard, 1951, p. 69-70. [â©] LâexpĂ©rimentation en biologie animale », La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1965, p. 39. [â©]